Voilà bientôt 20 ans que je travaille au bord des cours d'eau à étudier les poissons. Autant vous dire c'est un super job, je ne vais pas me plaindre. C'est une chance de pouvoir travailler avec passion. Aimer tellement les rivières et pouvoir les étudier c'est trop chouette. Maintenant, lorsqu'on travaille dans l'environnement, les résultats sont maigres, très maigres... Il faut savoir être très patient et ne jamais perdre espoir.
Pour tout vous dire, j'ai très souvent l'impression que mon travail, avec tous ces mails, toutes ces réunions, tous ces déplacements, toute cette encre et tout ce papier consommé, nuit beaucoup plus à notre belle planète qu'il ne lui est profitable.
Alors quand on obtient quelques petits résultats, on est très heureux. Et récemment c'est bien ce que j'ai vécu.
Alors que nous étions dans une campagne de pêche d'échantillonnage pour mieux connaitre les populations de truite sur le bassin du Méchet dans le département de Saône-et-Loire, c'est l'évolution de l'aire de répartition d'une autre espèce piscicole qui m'a réjouit au plus haut point.
Depuis 1970, la lote n'avait pas été observée en amont d'un barrage sur le Méchet : le seuil d'alimentation de l'étang Bouton (département 71). Les causes de la disparition de la lote sur ce secteur me sont inconnues (pollution, sécheresse de 1976...). Toujours est-il qu'une fois disparue du secteur, la lote n'est plus réapparue pendant près de 50 ans.
La lote était présente en aval et dans l'Arroux dont le Méchet est le confluent. Récemment, en 2016, ce fameux seuil a été supprimé par le Parc Naturel Régional du Morvan, sans pour autant que l'alimentation en eau de l'étang soit rompue. Une autre solution a juste été trouvée pour permettre la libre circulation piscicole sans contraindre la mise en eau de l'étang.
Au travail nous avons soutenu ce projet techniquement et financièrement. Ce n'est pas toujours simple car l'effacement d'un barrage suscite souvent le doute ou le rejet des populations locales.
Au moment des travaux de destruction, lors de la pêche de sauvetage, les lotes étaient nombreuses sous le barrage ; bloquées elles semblaient attendre que la voie s'ouvre. Je me suis toujours demandé si on allait un jour les retrouver plus en amont, comme auparavant...
Telle ne fut pas ma surprise, en ce mois de juillet 2019. Quand nous sommes retourné échantillonner notre station de référence, situé 1.5 km en amont de l'ancien seuil de l'étang.
Les premiers poissons capturés par mes collègues furent deux lotes! Coup sur coup, alors que la pêche électrique venait juste de débuter. Sur tout le chantier d'échantillonnage (180 mètres linéaire), ce sont une petite dizaine de lotes qui ont été capturées.
Un ancien pêcheur du cru qui nous accompagnait, n'en revenait pas. Il était avec ses petits enfants. D'une part, il ne pensait pas que la rivière pouvait accueillir autant de truites, mais la vue des lotes la plus que surpris. Il nous a rappelé ses souvenirs de pêcheur, lorsqu'il était enfant et qu'il capturait à la ligne des lotes. Quand on lui a annoncé que c'était très vraisemblablement en lien avec l'arasement du seuil de l'étang, il était tout étonné, lui qui n'était pas forcement très favorable à sa destruction.
Ce sont de toutes petites choses qui ne suffiront pas à maintenir la biodiversité de notre belle planète, mais ces petites choses font un bien fou.
Aujourd'hui les lotes ont remonté 1.5 km de rivière et peut-être plus. Le Méchet leur garantit des eaux plus fraîches en été. Mais en hiver, il est fort à parier qu'elles redescendront dans l'Arroux pour se reproduire.
Maintenant que la voie est libre, elles peuvent utiliser différents milieux pour mieux se protéger et se développer.
Rem